Jean Pinson, chirurgien digestif, a récemment été lauréat d’une bourse de mobilité internationale financée par Capfinances et la Fondation Charles Nicolle-Normandie pour partir en janvier 2026 pendant un an à Sydney, en Australie. Rencontre.
Pour commencer, pourriez-vous rapidement vous présenter ?
Dr Jean Pinson : « Je m’appelle Jean Pinson, j’ai 30 ans, je suis marié, j’ai 3 enfants, et je suis docteur junior en toute fin d’internat en chirurgie digestive au CHU de Rouen. J’ai également commencé une thèse de sciences en septembre 2024. »
Sur quoi porte votre thèse ?
« Elle porte sur les applications cliniques et scientifiques de l’imagerie en chirurgie oncologique colorectale, avec un intérêt particulier pour la reconstruction 3D (lire ci-dessous). Je continuerai notamment à travailler sur ce sujet durant ma mobilité. »
Où allez-vous réaliser cette mobilité ?
« À Sydney, en Australie ! J’y ai obtenu un poste de « fellow » pour 1 an, voire 2 ans, ce qui est l’équivalent d’un poste de chef de clinique en France ».
Quels sont les objectifs de votre mobilité en Australie ?
« J’ai plusieurs objectifs. Tout d’abord, j’aimerais continuer à me former dans la chirurgie pelvienne complexe, principalement oncologique, que notre équipe pratique également mais dans laquelle l’équipe de Sydney possède une expérience particulièrement reconnue. J’ai vraiment hâte d’aller voir comment ils font ! Ensuite, cette mobilité fait également partie de mon projet de carrière hospitalo-universitaire. En effet, valider une mobilité fait partie des critères requis pour l’obtention de l’agrégation de professeur en médecine. Par ailleurs, ce séjour me permettra de devenir, je l’espère, bilingue en anglais et de développer un réseau professionnel solide. »
Et côté recherche ?
« Côté recherche, mon objectif est évidemment de poursuivre ma thèse là-bas, et de collaborer avec l’équipe de Sydney pour mener des travaux et publier des articles scientifiques. »
Qu’a-t-elle de particulier cette équipe ?
« Cette équipe a sûrement du matériel un peu spécifique et de très bons chirurgiens, mais surtout une très grande expérience chirurgicale, avec plus de 1000 opérations d’exentérations * pelviennes en 30 ans. Pour moi ce qui est le plus intéressant à observer, ce n’est pas seulement le geste opératoire, mais tout ce qu’il y a autour : le bilan préopératoire, la préparation du patient, les suites post-opératoires, etc. Et c’est justement dans ce dernier point que réside le cœur du problème : l’opération dépend en soi seulement d’un ou deux chirurgiens, mais pour permettre une récupération rapide, c’est toute une équipe d’aides-soignant(e)s, d’infirmier(e)s, de kinés, de psychologues, de diététicien(e)s… qu’il y a derrière. Il y a également des stratégies et des protocoles à mettre en place. C’est ce fonctionnement d’ensemble que je veux comprendre, car plus un patient récupère vite, plus il a de chances de bénéficier rapidement de sa chimiothérapie post-opératoire, avec à la clé une amélioration du pronostic et de la qualité de vie. »
« Il faut de l’expérience. Il est possible de la construire en 20 ans, ou alors de la chercher là où elle existe déjà, comme à Sydney, et d’essayer d’absorber 30 ans d’expérience en 1 an » – Dr Jean Pinson
En quoi l’allocation de mobilité apportera-t-elle un soutien à votre projet ?
« Mon salaire sera encore assuré par le CHU et la faculté de médecine de Rouen, dans le cadre d’une mission temporaire. Mais il faut savoir que la vie à Sydney est extrêmement chère, d’autant plus que je ne serai pas seul, puisque je serai accompagné de ma femme et de mes 3 enfants. En prenant en compte l’avion aller-retour, le loyer, la nourriture, la vie sur place, la scolarisation des enfants etc. nous arrivons autour de quasiment 10 000 € par mois. Heureusement, que j’ai obtenu différentes bourses, dont celle de la Fondation et de Capfinances, sinon c’est tout le projet qui aurait fini à la poubelle. »
Une dernière question, qu’apporteront vos travaux aux patients du CHU de Rouen ?
« Mes travaux de thèse et mon « fellowship » visent à améliorer la prise en charge et les pratiques péri et per-opératoires pour ces chirurgies pelviennes complexes. Et en soi, ce ne sera pas seulement pour les patients de Rouen, puisque le CHU de Rouen devient progressivement un centre de référence national sur cette thématique, avec des patients venant des quatre coins de la France.
Beaucoup de centres hospitaliers n’opèrent pas ces patients, les opérations étant jugées trop complexes ou risquées. Notre objectif, c’est d’opérer les patients qu’on pensait ou jugeait inopérables, et surtout que tout se passe bien après. Pour cela, il faut de l’expérience. Il est possible de la construire en 20 ans, ou alors de la chercher là où elle existe déjà, comme à Sydney, et d’essayer d’absorber 30 ans d’expérience en 1 an. »
Ce séjour en Australie marque une étape clé dans le parcours du Dr Pinson, lui offrant l’opportunité d’apprendre des meilleurs, et nourrissant son ambition de faire évoluer non seulement les pratiques chirurgicales, mais aussi la prise en charge globale des patients.
Propos recueillis par Céline Heel
* L’exentération est une procédure chirurgicale consistant en l’ablation totale ou partielle d’un organe ou d’un tissu
La chirurgie pelvienne complexe concerne surtout les cancers avancés du pelvis (photo ci-dessous), qui nécessitent des interventions élargies, techniquement difficiles, et donc généralement pratiquées dans très peu de centres. La difficulté vient en grande partie de la localisation : contrairement à une chirurgie abdominale où l’on peut largement ouvrir la cavité, ici l’espace est restreint, on est comme au fond d’un tunnel. De plus, on y rencontre des organes et structures qu’on n’a pas forcément l’habitude de voir par voie intra-abdominale dans une position allongée (par exemple le sacrum, les nerfs sciatiques ou l’os coxal), ce qui oblige à reconstruire mentalement leur organisation 3D.
La reconstruction 3D pourrait donc s’avérer plus qu’utile. Le but de sa thèse, est de voir comment faire ces reconstructions 3D, ce qui est particulièrement complexe pour les tissus mous (muscles, nerfs, tendons, tumeur, organes), et si elles apportent une plus-value. Pour l’instant, c’est encore en développement, mais ces reconstructions 3D tournent déjà en permanence dans le bloc sur un écran. L’idée dans le futur serait peut-être aussi de pouvoir l’imprimer pour qu’on puisse la manipuler, la mettre sur le patient pour pouvoir comparer, etc. »